Cela
faisait maintenant un mois que j'envoyais mes comptes rendus
d'Angleterre jusqu'au jour ou je reçus, de la direction, un billet
d'embarcation de première classe pour le Titanic. Je ne comprenais
pas ce que cela signifiait. Nous étions le 4 avril. Tout le monde,
ici, à Southampton, ne parlait que du Titanic qui avait accosté au
port la nuit passée. Il subissait en ce moment même les dernière
finissions qui feraient de lui un paquebot parfait pour son voyage
inaugural. Ici, je n'avais pas le téléphone, je me rabattais donc sur
l'envoi d'un message par TSF à Ouest-Eclair. La réponse ne se fit
pas attendre. L'après-midi même. « Charles, tu es le plus
proche du RMS TITANIC. Embarques à bord, envoi un rapport de
New-York. Tout frais payés, profites »
Le 10 avril
arriva vite. J'eus à peine le temps de terminer mon dernier rapport
sur l'évolution de la grève des mineurs de charbon. J'avais trouver
une conclusion parfaite. La compagnie maritime White Star Line,
propriétaire du Titanic avait réquisitionné le charbon de deux
autres de ses navires pour le transférer dans le Titanic. De cette
manière, le paquebot avait suffisamment de matière pour atteindre
le nouveau monde sans encombres.
Alors que
j'écartais les rideaux de la fenêtre de ma chambre d'hôtel pour
laisser passer la lumière du jour, je le vis. Il était déjà là.
Son ombre couvrait la totalité du quai. Il était gigantesque,
énorme ! Sa proue fièrement dressé lui donnait un air
inattaquable. Sa coque d'un noir de jais contrastait superbement avec
la blancheur des superstructures qui la surmontait. Les proportions
étaient justes parfaites. De ma fenêtre, je ne le voyais pas
entièrement. Les cheminées beige surplombées d'une manchette noire
fumaient déjà malgré l'heure matinale. Les quais se remplissait
peu à peu de passagers et de badauds venus observer le géant des
mers que l'on disait presque insubmersible. Ca et là, on pouvait
apercevoir l'uniforme d'un officier se précipitant vers le navire
pour y embarquer afin de prendre son poste avant l'embarcation des
passagers.
Bien que j'eus du mal à le quitter des yeux, je quittais
ma fenêtre et allais prendre mon petit déjeuner. Une fois fait, je
remontais chercher ma petite valise. Elle semblerait bien ridicule
face aux montagnes de bagages des riches passagers de première
classe qui allaient embarquer. Je quittais l'hôtel qui m'avait
accueilli pendant plus d'un mois après avoir payé la facture
quelque peu élevée mais payée aux frais de la société.
J'ignorais si c'était un traitement de faveur dû à mon rang social
mais le journal m'offrait toujours des hébergements confortables.
C'était aussi le cas à bord du Titanic. Si je ne bénéficiais pas
d'une suite, je serais tout de même logé dans une cabine de
première classe. Je fréquenterais quelques unes des plus grandes
personnalités du moment mais il me faudrait également descendre
dans l'entrepont, rapporter les conditions de vie des passagers
modestes de troisième classe.
Dehors, sur
les quais, désormais bondés, j'essayais de me frayer un chemin
parmi la foule compacte. D'ici, la paquebot paraissait plus imposant
encore. Je pouvais maintenant voir la poupe. La quatrième cheminée,
visiblement, ne fumait pas, je me demandais vaguement pourquoi mais
ne m'en souciait pas. Pas un nuage avait décidé de venir troubler
la journée ensoleillée.
Alors
que j'approchais de la passerelle de première classe, un steward
vint à ma rencontre. Avec un fort accent français, il me dit :
-Bonjour
monsieur, vous serez des nôtres à bord du Titanic ?
-Effectivement.
-Puis-je
me permettre de vous demander votre numéro de cabine afin de vous
débarrasser vos bagages et de les acheminer à bon port ?
-Et
bien, je dois avoir le billet quelque pars... Je cherchais le billet
de première classe que Ouest-Eclair m'avait fait envoyer. Je le
sortit enfin d'une poche intérieure de mon veston et regarda le
numéro de la cabine. Je répondais au steward. Cabine X.
-Bien
monsieur, avez-vous d'autres bagages à transporter ou à placer dans
la soute réservée au passagers de votre classe ?
-Je
crains que non, monsieur. Ma valise, bien maigre je vous l'accorde,
est mon seul bagage.
-Bien
monsieur, je vous souhaite une bonne embarcation à bord du Titanic.
Pour atteindre votre passerelle d'embarcation vous devrez entrer dans
le grand bâtiment derrière. Vous y trouverez un escalier,
prenez-le, il vous mènera aux escaliers mobiles que vous voyez
derrière-moi. De là, la passerelle sera accessible, elle vous
mènera au pont B du Titanic. C'est l'entrée la plus proche de votre
cabine qui se situe deux pont au-dessus.
-Merci,
bonne journée à vous.
Sur
ces quelques explications, je repris la marche en direction de la
passerelle que venait de m'indiquer le steward, les mains désormais
libres.
Je
n'avais jamais emprunté de navire de ce type. Je me contentais
d'ordinaire de navires plus petits. Je me souviens de mon dernier
voyage en Amérique. Le navire qui m'avait acheminé là-bas
n'appartenait pas à la White Star mais à une compagnie britannique
concurrente, la Cunard. Son unique cheminée rouge lâchait de gros
panaches de fumée. Il était bien-sûr moins imposant que le
Titanic. Le Carpathia, c'était son nom, était tout de même un fier
navire. Il fit son voyage inaugural en mai 1903 et voyageait
inlassablement sur l'Atlantique depuis lors.
Après
avoir monté les escaliers à l'intérieur de ce bâtiment lugubre,
j'arrivais effectivement à l'intérieur de cet affreux escalier
mobile ou la passerelle qui me conduirait au navire m'attendait. Un
autre steward me demanda mon billet que je lui présentais. Il
m'ouvrit la route, je marchais enfin sur cette maudite passerelle. Le
soleil me fit oublier l'odeur nauséabonde de cette escalier qui,
manifestement, n'était pas nettoyé régulièrement. Face à moi, le
Titanic paraissait plus imposant que jamais. Je voyais nettement les
rivets qui tenaient les plaques d'acier entre-elles. J'essayais
mentalement de les compter, sachant que c'était impossible. 10, 15,
30... J'entrais dans le navire.
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